1er mai 2020. Ressac
Dans le resac on ressasse. La vague est passée, le confinement s’effrite, l’espoir d’une libération est là. Il revient chez les uns ou chez les autres de manière différente : chacun son imaginaire, chacun sa tentative d’appréhender le réel.
L’image d’une vague au ralenti me vient. Elle s’éclate sur la plage où elle efface toutes les traces de pas et remélange toutes les couches de sables. Puis ,dans un bruit agréable qui nous manque, elle se retire doucement. Nos pieds s’enfoncent dans le sable au fur et à mesure qu’elle se retire. Au ralenti je vois les mouvements de mes pieds ramener à la surface les couches les plus profondes. Tout semble comme avant la vague mais on sait que la prochaine vague reviendra. Un enfant, prenant le rythme de la vague, va se mettre à courir vers elle quand elle se retire puis repartir vers la plage en criant quand elle revient. Il en a peur mais il domine sa peur et défie à sa façon ce va-et-vient.
Je ne sais même pas si, moi comme d’autres, nous sommes à la hauteur de ce petit enfant. Nous avons été surpris par cette première vague qui s’est éclatée sur nos jambes et nous a fait chuter. Nous nous sommes relevés, nous sommes reculé et réfléchissons. Doit-on, comme cet enfant dans les premiers temps, retourner en son creux comme si nous ne savions pas qu’elle reviendra ? Ou devons nous espérer qu’elle ne revienne pas ? Que faire, si elle revient, pour reculer sans crier ?
La meilleure façon de ne pas avoir peur est d’analyser ce que la première vague a fait chuter de nos certitudes. Elle a révélé de nombreux points faibles dans notre système de santé. Et bien au-delà. Je passe sur les modes de production qui ont favorisé les pénurie de masques, de tests qui nous ont obligé au confinement. Ils sont le résultat d’une interdépendance mondialisée dont beaucoup avaient l’impression qu’elle était une force alors qu’elle se révèle être une faiblesse. Beaucoup de témoignages issus des milieux administratif, directeur d’hôpitaux et autres expert des ministères s’expriment. Que nous disent ils ? Le monde hospitalier a su se transformer en temps de crise et rien ne doit donc changer fondamentalement sinon approfondir encore le management mis en place ces dernières années.
Moi et beaucoup d’autres pensons au contraire que, dans l’état ou étaient notre système de santé et nos hôpitaux, la réponse a été dégradée. Dégradée et donc pas à la hauteur. Nous avons donc mis des lits de réanimation dans des blocs opératoires en pensant qu’un ventilateur et une prise oxygène murale suffisait à faire de la réanimation. Nous avons réquisitionné des personnels de bloc opératoire, des infirmières anesthésiste et des anesthésistes qui ne font plus de réanimation. Chacun a été extraordinaire, a essayé de s’adapter du mieux possible. J’ai par exemple eu régulièrement au téléphone un collègue anesthésiste dans une clinique bordelaise qui avait reçu des malades atteints de covid-19. Passée la phase initiale de prise en charge, assez classique, il s’est trouvé en difficulté devant la complexité d’une prise en charge de réanimation. Même si ce n’est pas politiquement correct, je me suis rendu compte, en creux lors de ces discussions, des progrès que nous autres réanimateurs avions fait ces dernières années. Pensant là encore que la réanimation se résumait à un ventilateur, et comme en temps de guerre, une industrie française Air Liquide a été réquisitionnée pour modifier ses plates-formes de production et produire en un temps record 10000 ventilateurs. Le président de la république a voulu montrer comment l’industrie elle aussi savait se transformer pour répondre à la crise. Mais le ventilateur qui a pu être produit dans ce temps record se trouve être un ventilateur que nous empruntons pour les transports de patients les plus faciles. Il est incapable d’assurer la ventilation plus précise que nécessitent ces patients. Une autre illustration de cette dégradation concerne le système d’information permettant de connaître l’état des places en réanimation. L’agence régionale de santé a depuis plusieurs années un système qui fait remonter l’information par une chaîne de communication qui m’est inconnue. Cela aboutit à des informations décalée dans le temps et souvent fausses. Très tôt dans cette crise, un collègue nancéien, avec l’aide d’ingénieurs, a créé une application facile à manier par les réanimateurs et permettant un suivi instantané de l’état des lieux de toutes les réanimation régionales.
Enfin, et c’est sûrement le plus difficile à regarder en face, la dégradation a été éthique. Dans un pays où la réflexion éthique est traditionnellement plus déontologique, c’est-à-dire kantienne, qu’utilitariste, il était il y a quelques temps encore inenvisageable qu’un tri fonction de l’âge de l’espérance de vie l’emporte à ce point sur les autres critères. Beaucoup d’éléments laissent avancer qu’un véritable tri sélectif à lieu et dans les régions les plus touchées dans la crise. Sans parler des EHPAD.
A travers ces exemples, cette crise nous révèle quelque chose de crucial pour la suite. Face a l’imprévu, les valeurs de solidarité – c’est ce qui s’est vraiment passé à l’hôpital – bien qu’indispensable, ne peuvent rien si elles ne sont pas complétées de créativité. Cette créativité et cette solidarité on peut les trouver dans bien des systèmes mais elles doivent naitre des acteurs de terrain. Il n’y a plus de clivage entendable entre la droite, traditionnellement porteuse de liberté et créativité, et la gauche de solidarité. Le nouveau clivage qu’a très bien vu Bruno Latour il y’a quelques années, qu’il répète actuellement, se situe dans l’ancrage de ses valeurs. Mais dans quoi les ancrer ?
Nos erreurs lors de cette première vague viennent de la tendance passée à créer des systèmes hors-sol (B Latour), des intermédiaires bureaucratique, des hiérarchies pyramidales basées sur l’idée démocratique que seul in fine le président peux décider. Il faudra peut-être dorénavant dans une nouvelle éthique politique savoir faire confiance au terrestre (B Latour). A savoir, ce dont le contact avec le réel est l’étincelle créative et la solidarité le ciment. Ce qui suppose une nouvelle échelle démocratique.
Même le petit enfant se lasse de ce va-et-vient de la vague. Il a hâte de trouver l’équilibre pour monter sur sa planche de surf et, les pieds bien calés sur ce sol mouvant, d’éprouver le sac et le resac.