Je ne suis pas historien mais je crois que, plus que jamais, chacun doit faire l’effort de réaliser que l’histoire, si elle ne se répète jamais exactement de la même façon, peut quand même bégayer.

Dans le champs politique, l’Europe, c’est probablement après les questions de sécurité et de guerres la question qui recouvre toutes les autres. Ces derniers mois, j’ai eu l’occasion de voyager dans deux grandes villes européennes: Londres et Berlin. J’y ai visité deux bunkers.

Londres

Londres a souffert de la guerre et la visite du bunker de Churchill illustre dramatiquement à quelle pression de bombardements Londres a du faire face pendant la seconde guerre mondiale. Un bunker moderne pour l’époque, relié au reste du monde par un ingénieux système de communication qui faisait la fierté de Churchill.

Berlin

Un autre bunker, non moins célèbre, n’est lui plus visible et n’a en tout cas pas été réhabilité par les Allemands. C’est en croisant un groupe étrangement regroupé autour d’un guide sur un parking de Berlin que j’ai su que Le bunker d’Hitler avait existé à cet endroit.

Les deux dénis de l’Europe

Ces deux bunkers symbolisent chacun à leur façon l’Europe d’aujourd’hui. L’Europe est fragile, elle arrive dans sa soixantième année d’existence démocratique et chacun mesure quel facteur de paix cela a été.

Le Royaume Uni a décidé d’en sortir et nie finalement le geste de solidarité extraordinaire ayant sauvé l’Europe accompli par Churchill. Elle a décidé de couper la communication si lucidement défendue par Churchill au fond de son bunker. Elle oublie que le channel n’est qu’une frontière virtuelle, si facilement traversée à l’époque par la guerre.

L’Allemagne est encore traumatisée par l’épisode nazi. Elle n’est pas encore reconstruite sur le pan psychologique, ce qui pour l’instant a  l’effet paradoxalement bénéfique de limiter (pour combien de temps ?) la progression des partis d’extrême droite. Son déni de bunker est un symptôme. En 1930, les conditions étaient identiques à celles que nous vivons actuellement. Jugez par vous même. Il y’a à cette époque 6 millions de chômeurs en Allemagne, un pays surendettés que la crise financière de 1929 va achever, Hitler fait 18% aux élections, puis un an plus tard plus de 30%. Toute ressemblance avec la France de 2017…

L’histoire se répète, comme la névrose

Le déni de l’histoire de l’Europe, comme le déni du traumatisme chez le névrosé, aboutit inévitablement à la répétition du symptôme. « Je sais bien, mais quand même » suivant l’expression de l’ethnologue et psychanalyste Octave Mannoni. Nous savons que l’Europe, dans sa forme actuelle, n’est pas comprise des peuples, aboutit à une augmentation des inégalités qui ne sont pas compensées par les avantages apportés aux pays les plus en difficulté. Nous savons qu’elle se constelle petit à petit de régimes populistes (Hongrie, Pologne) que certains pays en ont été menacés (Pays-Bas, Autriche), que d’autres sont extrêmement fragiles (en Italie la ligue du Nord + le mouvement 5 étoiles font environ 40% des voies).

En France, comme en Allemagne ou au Royaume Uni, on ne peut être certain que le déni soit levé. La vraie question est de savoir qui pourra le mieux faire réaliser aux allemands le risque de répétition de l’histoire car pour le Royaume Uni ça paraît un peu tard. Mais qui, en France, pays idéalement situé à l’intersection des pays du sud et du nord de l’Europe, va oser affronter le déni allemand ?

Affronter le déni allemand

La campagne s’est, contrairement à ce qui a été dit, concentrée sur cet enjeu majeur.

Emmanuel Macron propose en quelque sorte une thérapie comportementale. Il traite le symptôme à son point d’émergence visuel mais ne règle pas la question de fond qui risque donc de revenir en force. Pour faire bouger l’Europe il faut d’abord se réformer, dit-il c’est à dire poursuivre la libéralisation de l’Europe et risquer d’accroître ce que les peuples rejettent le plus en elle, la concurrence sans règle associée à une bureaucratie sans fin.

L’un des points qui pouvaient faire pencher pour Mélenchon, c’était justement la question européenne. Il semblait affronter le déni avec toute la subversion que cette solution entraîne. On ne laissait pas aux allemands le temps de se convertir aux injonctions d’assouplir la politique austéritaire qui viennent de pays européens ou du FMI. On lui indique fortement que le traumatisme va se répéter et qu’il faut en tenir compte en urgence. Sans quoi la collaboration (thérapeutique) est terminée. Le plan B (quitter l’Europe) est dans le plan A (négocier pour réorienter). Si on ne tient pas compte de ce que le déni nous cachait, si on ne passe pas aux actes, si on procrastine notre Europe, la répétition guette.

Marine Le Pen ne souhaitait pas débuter de thérapie pour la France: elle aurait plutôt tendance à vouloir soigner ceux qui veulent traiter l’Europe. A sa façon.

il faut garder l'oeil ouvert face au deni européen
Courage de regarder

Ne restons pas dans le bunker de notre inconscient collectif

Nous ne pouvons qu’espérer qu’Emanuel Macron réalise, qu’il « …redescende » comme lui préconise l’éditorial de Libération daté du même jour que ce post de blog.  Il n’est pas aveugle. Il n’a pas hésité récemment à nommer clairement le fait colonial lors de sa visite en Algérie (peut être a t-il lu Octave Mannoni justement sur la colonisation). Il est donc permis de croire qu’il sait nommer le traumatisme quand il le faut.

Il est probable qu’Obama, en l’appelant l’autre jour, lui ait dit des choses intéressantes sur la dimension historique qu’inévitablement affronte un président. N’a t-il pas, lui, lors de son propre mandat, outre le pas vers l’Iran et Cuba su se rendre de façon extrêmement digne à Hiroshima entraînant le premier ministre japonais à faire de même à Pearl Harbour.

Ce ne sont pas des petits moments historiques.. On s’honore et on s’élève à affronter le traumatisme et à revenir sur la scène où il s’est cristallisé. Il faudra à Emanuel Macron, s’il est élu, s’en souvenir, pour convaincre l’Allemagne d’affronter la réalité du traumatisme européen. La scène du basculement de l’Europe dans le pire est de nouveau là.

Ne restons pas dans le bunker de notre inconscient collectif.