13 mai 2020. Paris Match
Le titre du dernier Paris Match – qu’on me met sous les yeux – est « Covid-19, la véritable histoire du premier patient français ». Je souris en pensant à la devise du journal. Je lis l’article et plus que le poids des mots, c’est plutôt un choc -relatif- que je ressens au fur et à mesure de cette lecture. J’ai raconté précédemment l’admission de ce fameux premier patient dans mon service, un soir de garde. Mais ce que raconte Paris Match n’est pas la véritable histoire comme le titre semble l’affirmer. C’est au contraire l’histoire qui a été racontée par les médias. Ce patient est resté une semaine en réanimation. Il n’en avait pas l’indication classique, son état étant assez stable, mais l’ignorance de sa contagiosité réelle a conduit à l’admettre dans notre équipe, entrainée au risque biologique émergent. La charge émotionnelle liée à cette découverte a existé, elle. Mais durant cette semaine de janvier, les médias audiovisuels ou écrits ont tous raconté l’histoire que la cellule de crise, son directeur général en tête, en accord avec le directeur de l’Agence Régionale d’Hospitalisation, leur ont servi. Une histoire dans laquelle il a été jugé que le mot réanimation serait alarmiste.
Mes collègues praticiens hospitaliers et moi même avons été surpris et même meurtris par cette décision. Cette absence de reconnaissance de notre rôle venait faire écho au sentiment relativement vif du même manque de reconnaissance de notre spécialité au sein de l’institution CHU. A un moment précisément ou, ayant changé de gouvernance, nous nous battons tous ensemble pour remonter cette pente. Et puis, il était assez baroque de raconter à nos proches, familles et amis, que nous étions en première ligne pour découvrir cette maladie, pendant que les médias racontaient autre chose. Nous avons demandé à notre chef de service d’intervenir mais il a jugé contre productif – peut être à juste raison car la crise commandait un engagement désintéressé – une telle demande. Et nous sommes passés à autre chose.
Cet article a réveillé cette plaie originelle. Il a circulé de façon « virale » entre collègues et nous avons tous ri jaune. Ce qui se révèle piquant est la façon très Paris-match de raconter une histoire romancée, « héroïsée », tout en annonçant sa véracité. Les collègues infectiologues – le patient était supposé avoir été admis en Maladies Infectieuses – semblent avoir cédé au jeu des journalistes et se prêtent avec une étonnante complicité à cette romance. Avec quelques mois de recul, quelle ironie d’avoir voulu cacher la réanimation à la population, alors que midi et soir on est dorénavant abreuvé d’images de nos services. A tel point qu’il m’arrive de zapper quand je vois maintenant apparaitre la tête de mes collègues sur le petit écran.
Cet acte manqué de début de crise n’a fait que révéler les actes autrement plus manqués et plus graves de la politique des masques et des tests. Voilà la véritable histoire.