Ecrit avant l’attentat de Nice (basilique notre Dame) 

Ayant à peu près le même âge que Samuel Paty, partageant avec lui la passion de l’enseignement de l’esprit critique, athée, j’ai imaginé qu’il aurait aimé les lignes qui vont suivre. En réaction à son assassinat, et outre les réactions nationalistes de la droite, il a manqué aux autres réactions politiques ou intellectuelles quelque chose que son athéisme n’aurait paradoxalement pas empêché.

Grande place a en effet été faite à la liberté d’expression dans les diverses réactions et jusque dans le discours du Président Macron. Ce qui est tout à fait légitime puisque le cours qu’enseignait Samuel Paty concernait la liberté d’expression et que l’emballement macabre du terrorisme islamiste autour de ce cours s’est appuyé sur la date anniversaire des attentats de Charlie hebdo. Mais dans le discours d’Emmanuel Macron est venue se rajouter la question du combat contre l’ignorance, amalgamée avec la question des croyances, au nom de la laïcité et de ce qui en a été le terreau philosophique: Les Lumières. Le but de ce billet n’est pas de réduire en quoi que ce soit l’horreur terroriste islamiste mais de parler de laïcité, à la lumière de ce discours dans lequel se niche un déni – sous forme d’un amalgame – quant à la laïcité même.

La laïcité comprend pour partie une liberté de ne pas croire, par conséquent une liberté de critiquer toute croyance y compris et à commencer par les croyances religieuses. Mais la laïcité ne se résume pas à une liberté d’expression philosophique ou religieuse. Sa force originale vient du fait qu’elle repose de façon finement équilibrée entre la liberté de critiquer les croyances et le respect et la tolérance de ces mêmes croyances, puisqu’elle consacre aussi la liberté de croire. Elle les renvoie simplement en dehors de la sphère publique notamment politique (ce qui ne veut pas dire qu’elle doive être limitée à son domicile). C’est le principe de neutralité qui fait partie de la laïcité. A travers ce qui nous est donné de lire de Samuel Paty, on ne peut que penser qu’il était extrêmement imprégné de cette notion de tolérance des différentes religions et qu’il avait bien pris soin de ne pas confondre laïcité avec lutte contre les religions. Pourtant, c’est bien à cet amalgame que nous faisons face actuellement puisque comme le Président l’a dit lui même, cet enseignant travaillait à « lutter contre l’ignorance ». Emmanuel Macron n’a évidemment pas dit qu’une croyance religieuse était synonyme d’ignorance. Mais Les lumières furent pourtant convoquées à ce moment là de son discours. Si elles sont à la base idéologique du principe de laïcité, Les Lumières sont avant tout un moment philosophique de critique des croyances religieuses. Elles nous ont ouvert le chemin de la remise en cause de toute croyance et par conséquent ont renforcé le chemin vers l’athéisme. Dans la laïcité par contre, cet athéisme doit être toléré des croyants mais tolérant pour les croyants. 

C’est à cette pointe originale que nous reconnaissons les valeurs françaises. Les réactions américaines, en pleine élection présidentielle, le soulignent en creux. Les républicains ont réagi à l’assassinat comme la droite dure française tandis que les démocrates n’ont pas compris comment le Président français pouvait déclarer soutenir le droit de caricaturer une communauté. Les valeurs de la République liberté-égalité-fraternité sont contenues elle-même dans la notion de laïcité : liberté de croire ou de ne pas croire liberté de s’exprimer, égalité de statut entre les uns et les autres et fraternité entre les différents croyants ou athée (certainement la valeur la plus fragilisée actuellement). Elles surplombent les valeurs spécifiques à chaque communauté. Aux États-Unis outre les valeurs démocratiques anciennes, les seules valeurs patriotiques qui semblent se placer au-dessus des intérêts communautaires sont l’armée et l’économie. C’est également pour cela qu’une partie des Français pensent, comme moi, que l’on devient essentiellement français – à l’inverse des américains- non pas à l’issue d’une quelconque assimilation ou intégration culturelle ou d’une adhésion à ces valeurs patriotiques, mais au bout d’un processus d’adhésion à ces valeurs républicaines.

Après avoir d’abord marqué encore le plus clairement du monde mon horreur devant cet assassinat et devant le terrorisme islamiste, je peux affirmer que tout en étant pour la liberté pour Charlie Hebdo de publier ses caricatures, je suis contre le projet de publier les caricatures sur le mur des institutions publiques d’une ville (Toulouse, Hôtel de région) ou contre l’idée qu’un ministère distribue un livret de caricatures aux élèves des écoles. L’enseignement de ces valeurs doit se faire dans le cadre d’un rapport singulier entre enseignant et élèves, pour leur permettre d’articuler ce qui fait la laïcité et qui ne saurait être amalgamée à une lutte contre les croyances religieuses. Je l’écris en tant qu’athée et même si c’était très (trop) tôt, j’aurais aimé que le Président, devant le cercueil de Samuel Paty, ait le courage de rappeler que la laïcité consacre la liberté de ne pas croire et la liberté de croire et qu’en France on respecte toutes les religions, y compris bien entendu la religion musulmane, qui n’est pas représentée par les terroristes. Tout simplement parce qu’il semble que c’était le message que portait cet enseignant courageux. Il est évident que ces croyances constituent pour beaucoup de nos concitoyens des valeurs extrêmement importantes leur permettant d’aménager les parties les plus sensibles de leur vie. Cette réponse n’est effectivement pas une réponse par la guerre, mais une réponse par la paix, cette paix démocratique qui fait notre force et dont la laïcité organise les conditions. Nous portons cette pointe originale en tant que Français partout dans le monde et nous devons rester extrêmement attentifs à ne pas la dévoyer.