Actualité oblige et il faut se presser, inaugurons le blog par un cas récent et célèbre de déni: l’affaire Fillon. Aucune orientation politique à ce billet puisque l’affaire Fillon, c’est aussi l’affaire Cahuzac. Ces deux affaires, chacune aidant à comprendre l’autre, pourraient prêter à sourire si elles n’étaient pathétiques et surtout dangereuses pour la démocratie.

Fillon et Cahuzac

Ce qui choque dans cette affaire, ce n’est pas que les salaires versés à ses proches (3700 euros mensuels pour sa femme sur toute la durée de son emploi, au delà de son caractère fictif), aient été indécents (le salaire médian des français est de 1650 euros par mois). Non, c’est plutôt que François Fillon n’ait pas aperçu plus tôt que ces pratiques étaient en totale contradiction avec son image d’homme droit et honnête.

« Pénélope Fillon, l’assistée parlementaire »

Comme pour tout libéral, le salaire gagné à la sueur du front est pourtant préféré à l’assistanat d’une gauche accusée d’idéalisme. Libération en titrant «Pénélope Fillon, l’assistée parlementaire » résumait finalement bien la question. L’assistanat n’était vu que chez les autres comme on voit la paille dans l’oeil du voisin sans voir la poutre dans le sien.

Même scénario chez Cahuzac. Il ne s’agissait pas que d’une évasion fiscale. Elle émanait en effet, dans une sorte de paradoxe effarant, du ministre des impôts, celui-là même dont l’action consistait à lutter contre l’évasion fiscale. En parodiant ce qu’Audiard faisait dire à Blier dans les tontons flingueurs: le déni, ça ose tout, c’est à ça qu’on le reconnaît.

Mécanismes du déni

Je me suis demandé si Fillon avait vu. S’il avait construit un pseudo déni pour mieux se défendre. Une sorte de stratégie de communication. Mais j’ai constaté la colère certes contenue et semble-t-il sincère qu’il opposait à ses accusateurs, ce sentiment d’injustice, cette détermination à poursuivre tous ceux qui l’ont accusé. Quoi d’autre que cette espèce de sincérité aveugle lui aurait sinon permis de retourner, devant les caméras de France 2, avec autant d’assurance la situation devant la volonté maladroite, mais non moins sincère, de Christine Angot de lever ce puissant déni.

Quand on est en proie au deni on est dans un tunnelFillon, comme toute personne en proie au déni, souffre des mêmes réponses intimes, des mêmes idées qu’on ressasse et qui constituent autant de résistances à ce que ce déni puisse être levé.

D’abord, il s’abuse lui même en se targuant d’une ténacité exceptionnelle face aux épreuves. La ténacité ne lui a t-elle pas souri quelques temps auparavant dans sa lutte féroce avec Copé pour prendre la tête des Républicains.…

Dans les circonstances qui nous intéressent, ce n’est pas la ténacité mais la capacité à se remettre en cause qu’on attendait d’un homme d’état…Vient ensuite la réaction paranoïaque, l’enfermement dans une idée, le syndrome du cabinet noir. Son principe même est qu’il est très difficile de se sortir de ce piège de la pensée.

Plus le déni tient, plus il se referme sur son auteur comme les sables mouvants sur celui qui s’y débat. Bien entendu, plus les soutiens sont rares -la métaphore du dernier carré des fidèles- plus il se trouve renforcé, comme nourri par la solitude qui en résulte.

Enfin, il est fréquent que l’auteur du déni se saisisse inconsciemment d’un des termes de l’accusation en le surestimant. Notamment en y voyant la preuve qu’il s’agit bien d’un acharnement injuste ce qui a pour effet d’occulter tout le reste. Ici, le caractère fictif de l’emploi de son épouse a joué ce rôle piège. Si on peut concéder avec Fillon que la vie d’une femme d’un politicien de cet acabit ne rende la limite entre le « travailler pour » et le « vivre avec » très ténue, il fallait voir au delà.

Et moi alors ?

Nous serions bien inspirés de tirer chacun les leçons de cette affaire de déni.

Peu de temps après les révélations, je devais changer de situation professionnelle. Ce changement s’accompagnait théoriquement d’une réduction de jours de congés. Dans un nouvel éditorial que je lisais sur ces entrefaits, Laurent Joffrin écrivait que Fillon n’avait rien vu car « ces pratiques étaient utilisées par d’autres à l’assemblée nationale » et « qu’aucune régulation ne venait les contrôler à l’époque ». Moi qui n’avais pas l’intention de respecter la réduction des congés – depuis des années je voyais les collègues ayant la même évolution professionnelle poursuivre le même régime de congés sans aucun contrôle de la part de notre hiérarchie – je réalisais brusquement que moi, l’homme choqué par l’affaire Fillon, j’étais prêt à agir de même dans ma petite vie personnelle. C’est bien ça qui est intéressant dans le déni.

Cadeau empoisonné

Finalement, le plus important n’est pourtant pas là. Que laisse Fillon à ses enfants ? N’est ce pas finalement un cadeau empoisonné que Fillon leur fait en les employant à des conditions aussi avantageuses. Ne les ampute-t-il pas d’un droit que tout enfant devrait pouvoir revendiquer: celui de se construire par soi même, sans favoritisme de la part de sa famille, de sa communauté ou de sa catégorie socioculturelle.

Un peu plus tard dans la vie en effet, on se rend compte que c’est essentiellement ce qu’on a construit par soi même – sans nier ni ses racines, ni la reconnaissance que l’on doit à ceux qui nous ont fait grandir – qui fait sens. Bill Gates, qui ne lèguera que très peu de son immense richesse à ses enfants, semble l’avoir très bien compris.

Fillon, à mes yeux, malgré la sincérité probable de son projet que je ne partage pourtant pas, est plus qu’un homme clivé entre l’intime et le politique, c’est un homme qui souffre d’un déni de favoritisme.

Pendant ce temps, Cahuzac faisait appel de sa condamnation en justice : « et alors » ?